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Nous avons eu l’honneur de participer à l’élaboration du dossier paru le 21 mai 2021 dans le journal L’Entreprise Romande, rédigé par Pierre Cormon.

Comment optimiser ses coûts

Beaucoup d’entreprises n’analysent pas leurs coûts avec précision. Or, elles pourraient sensiblement améliorer leur rentabilité en les optimisant. Conseils de spécialistes.

Alors que beaucoup d’entreprises ont été plongées dans les difficultés par la pandémie, certaines recèlent un potentiel peu exploité pour améliorer leur rentabilité: l’optimisation des coûts. Beaucoup d’entreprises ne calculent en effet pas leur rentabilité avec précision. Elles comparent les dépenses directement engendrées par un contrat avec ce qu’il rapporte, en négligeant les coûts cachés. Or, ceux-ci peuvent être substantiels. Une multiplication de petits contrats, par exemple, peut entraîner des coûts élevés en matière de frais généraux (comptabilité, suivi des clients, temps consacré au rendez-vous, etc.).

Il arrive donc un moment où les liquidités manquent. «Le premier réflexe est souvent de tailler à la hache dans les principales charges», observe Jérôme Favoulet, fondateur de l’entreprise de conseils JetCo. «Or, ce sont souvent celles qui génèrent de la valeur. Le choix systématique des prix d’achat les plus bas aboutit à une perte de qualité, donc de parts de marché.» De plus, à trop couper dans les coûts, «on risque de ne plus être prêt à redémarrer le moment venu», ajoute Patrick Schefer, directeur de la Fondation d’aide aux entreprises du canton de Genève (FAE).

De nombreux spécialistes préfèrent donc parler d’optimisation des coûts que de réduction des coûts. Il ne s’agit pas forcément de dépenser moins, mais d’obtenir davantage de valeur par franc dépensé. Dans les faits, cela aboutit fréquemment à des réductions de coûts, mais la démarche est différente, comme l’illustre un exemple donné par Michel Salama, fondateur de Costbrokers, un spécialiste de l’optimisation des coûts.

VARIATION DE LA DEMANDE

«Une chaîne de sushis a fait appel à notre partenaire Supply Chain. Elle dispose de plusieurs points de vente et avait remarqué que la demande variait énormément d’un jour à l’autre. Certains jours, elle vendait moins et devait jeter des quantités considérables de marchandise.» Le partenaire a analysé les variations de vente avec un outil basé sur l’intelligence artificielle. On a ainsi pu déterminer comment des facteurs tels que la météo ou le jour de la semaine influençaient la demande. «Cela a permis d’améliorer la fiabilité des prévisions, de diminuer le taux de déchets de 70% et d’engendrer de 7% à 10% d’économie sur les coûts d’achat», affirme Michel Salama. Tout cela sans avoir besoin de négocier les prix avec le fournisseur.

Toutes les entreprises n’ont pas un chiffre d’affaires suffisant pour faire appel à un spécialiste de l’optimisation des coûts. Le seuil à partir duquel cela vaut la peine varie de cas en cas. Des entreprises comme Costbrokers et Melioris travaillent plutôt avec des moyennes entreprises, d’autres comme Jetco s’adressent également aux petites.

REGARD NEUF

L’avantage des spécialistes, c’est qu’ils posent un regard neuf sur les dépenses et ne se laissent pas prendre au piège du «on a toujours fait comme ça.» De plus, ils ont des points de comparaison avec d’autres entreprises. Enfin, optimiser les coûts est leur métier. Ils savent en principe comment aborder un fournisseur, organiser un appel d’offres, etc. Certains se rémunèrent d’ailleurs en fonction des économies permises par leur intervention, à l’instar de Costbrokers et de Melioris.

L’optimisation des coûts est parfois incluse dans une remise en question plus globale. «Lorsque nous aidons une entreprise à se restructurer, nous travaillons sur trois volets», remarque Patrick Schefer. «On cherche à augmenter le chiffre d’affaires, même si pour beaucoup d’entreprises, c’est très difficile, voire impossible en ce moment. On optimise ses coûts. Et on recapitalise.»

Mais comment optimiser ses coûts? Lire ci-dessous les conseils de spécialistes.

Huit conseils de pro

1. NE PAS ATTENDRE

Plus on réagit tôt, meilleures sont les chances de trouver une solution, aiment à rappeler les spécialistes de l’aide aux entreprises en difficulté. Plus on attend, plus on se rapproche du point de non-retour, à partir duquel on n’est même plus en mesure de faire face à ses obligations essentielles. «A ce stade, continuer peut avoir des répercussions sérieuses sur la vie de la personne», avertit Patrick Schefer. «Le non-paiement des charges sociales, par exemple, peut avoir des répercussions personnelles et pénales.» Le problème, c’est que les entreprises ne sont pas toujours conscientes de leur situation. C’est notamment le cas de petites entreprises, qui manquent souvent d’outils efficaces pour calculer leur rentabilité. Il est aussi difficile de se remettre en question. «Cela peut être vu comme un aveu d’échec», ajoute Patrick Schefer. Une partie du travail des spécialistes consiste donc à ouvrir les yeux de leurs clients.

2. FAIRE LA LUMIÈRE SUR SES DÉPENSES

Avant de prescrire un remède, il convient d’établir un diagnostic. «Il faut connaître le 100% de ce qu’on dépense, pas le 80%», résume Jérôme Favoulet. Une partie non négligeable des coûts peut être le fruit de décisions anciennes, jamais réexaminées, concernant des postes de dépense annexes. «Les dossiers les plus visibles sont portés par la direction générale, tout le monde travaille dessus», remarque Michael Salama. «Les frais généraux sont en revanche souvent laissés en friche, car ils sont peu visibles. L’esprit critique s’est un peu émoussé à leur égard et on renouvelle des contrats d’année en année, sans se poser de questions.»

«Les économies sur les achats stratégiques peuvent être de 2% à 6% ou 7%», renchérit Farid Assaf, fondateur de Melioris, une société de conseil en optimisation des achats. «Sur les achats non stratégiques, pour certains postes, elles peuvent atteindre 60%.» Le potentiel d’optimisation peut porter sur du matériel sous-utilisé, sur un contrat d’assurance ou de télécommunications qui ne correspond plus à l’évolution de l’entreprise, sur les coûts immobiliers, sur un abonnement à un service d’information qui n’est plus utilisé, etc.

«Une fois que l’on a une vision claire de ses coûts, il faut se demander: suis-je content de mon fournisseur? Pourquoi?», recommande Michael Salama. «Il faut sortir du réflexe: il est sympa, on travaille avec lui depuis vingt ans». Une dépense s’analyse en termes financiers, mais aussi de qualité et de délai. «C’est le triangle autour duquel on va tourner», précise Michael Salama. «Si le client est satisfait de son fournisseur, l’objectif est d’optimiser la situation, idéalement en partenariat avec le fournisseur en place», ajoute Farid Assaf. «Sinon, nous cherchons à améliorer la qualité ou à homologuer un autre fournisseur.» Pour que l’économie en soit vraiment une, il faut cependant avoir une vision globale des coûts.

3. ADOPTER UNE VISION GLOBALE DES COÛTS

Le coût réel d’un produit ou d’un service correspond rarement à son prix d’achat. Une machine bon marché, mais qui tombe souvent en panne, peut coûter bien plus cher au final qu’une machine plus chère, mais plus fiable. Il faut donc considérer les coûts sur la totalité du cycle de vie, en prenant en compte les coûts cachés. Le coût global de l’achat d’un logiciel informatique ne se limite par exemple pas à la facture du fournisseur ou au prix de la licence. Il faut lui ajouter le temps passé à négocier, le suivi administratif, le temps d’installation, le temps consacré par les utilisateurs à se familiariser avec le nouveau logiciel, la maintenance et les mises à jour, etc. C’est ce que, dans le jargon, on appelle le Total Cost of Ownership (TCO). Quant à une cartouche d’imprimante, «son coût se mesure en nombre de pages imprimées, pas en millilitres d’encre», précise Farid Assad. Les grandes entreprises procèdent à des calculs sophistiqués pour déterminer les coûts globaux. Une petite entreprise peut se contenter d’un tableau Excel.

4. COMPARER, COMPARER…

«Il faut se comparer à d’autres entreprises dans le même secteur ou qui consomment les mêmes produits et services, et comprendre pourquoi on dépense davantage pour tel poste», conseille Jérôme Favoulet.

Une conférence ou une séance de son association professionnelle peuvent être l’occasion de dialoguer avec des confrères. «On peut aussi discuter avec ses fournisseurs, sa banque, sa fiduciaire, une société de conseils, et trouver des données en ligne», ajoute Jérôme Favoulet. «Les entreprises françaises ont l’obligation de publier leurs comptes. On peut les consulter sur des sites spécialisés, comme verif.com.»

Il vaut également la peine de comparer les offres de ses fournisseurs avec celles de leurs concurrents. «C’est le type de travail que l’on peut confier à un jeune ou à un stagiaire motivé», conseille Michael Salama. «On peut ensuite inviter les fournisseurs que l’on a identifiés à présenter leur offre. C’est l’occasion d’apprendre des choses qui pourront être utiles.»

5. PENSER EN TERMES DE BESOINS, PAS DE PRODUITS

On raconte que, dans les années 1980, Black & Decker avait demandé à ses commerciaux ce qu’ils vendaient. «Des perceuses de tel ou tel modèle», avaient-ils répondu. «Faux», leur rétorqua-t-on. «Vous vendez des trous.» L’anecdote constitue une référence pour les acheteurs professionnels. «Notre travail n’est pas d’acquérir tel ou tel produit, mais de répondre à un besoin», résume Farid Assaf. Autrement dit: il ne faut pas se focaliser sur le produit qu’on a toujours acheté, mais sur la manière de répondre au besoin de ses utilisateurs. Un besoin de déplacement peut ainsi être comblé par un véhicule, mais aussi par une solution de car-sharing, une plateforme du type Lymo (un comparateur de courses), etc

Une démarche d’optimisation des achats commence donc auprès des utilisateurs. «Nous analysons avec eux quels sont leurs besoins», explique Carole Rosen, responsable de l’équipe conseils chez Melioris. «Sur cette base, nous définissons un cahier des charges précis et nous lançons des appels d’offres.»

6. IMPLIQUER LES COLLABORATEURS ET LES FOURNISSEURS

Les collaborateurs sont concernés au premier chef par les mesures d’optimisation des coûts, car ce sont souvent eux qui utilisent les produits ou les services sur lesquelles elles portent. Si on ne les implique pas dans la démarche, ils peuvent faire de la résistance. C’est particulièrement le cas pour les véhicules. «Ce sont des coûts difficiles à travailler, car ils ont une grande dimension émotionnelle», estime Carole Rosen.

Il importe donc d’associer les utilisateurs dès le début dans le processus, en analysant leurs besoins avec eux. Ils peuvent également suggérer des leviers d’optimisation des coûts: ce sont souvent eux qui savent comment sont utilisés les produits et services que l’on achète, et qui peuvent juger le mieux des besoins et de l’utilité de telle ou telle dépense. «Notre succès se joue à l’interne», résume Farid Assaf

Quant aux fournisseurs, «il faut tuer une idée reçue», affirme Michael Salama. «Très souvent, ils sont ravis qu’on installe une nouvelle relation avec eux. Ils peuvent également en bénéficier.» Leur offre a peut-être évolué et ils sont en mesure de proposer un produit ou un service correspondant mieux aux besoins du client. Ils peuvent aussi suggérer des économies. «Nous ne conseillons pas d’aller acheter moins cher ailleurs, mais de s’asseoir avec le fournisseur et de voir ce que l’on peut faire ensemble», indique Farid Assaf. «Bref, d’établir une relation de partenariat. C’est une approche qui paie dans les phases difficiles. Pendant la pandémie, beaucoup de fournisseurs ont joué le jeu et accordé des facilités aux clients avec lesquels ils entretiennent des relations de ce type.»

7. CHERCHER DES DÉBOUCHÉS

Il y a deux manières d’améliorer sa rentabilité: diminuer ses coûts ou augmenter ses rentrées. «Souvent, une restructuration se joue dans un entre-deux», remarque Patrick Schefer. C’est par exemple ce qu’a vécu Swissohm (lire en page 7). «On ne doit pas se focaliser uniquement sur les coûts; la croissance du chiffre d’affaires est encore plus importante», affirme pour sa part Jérôme Favoulet. «Le contexte sert trop souvent d’excuse. Lorsque l’activité d’un secteur baisse en moyenne de 4%, il faut se rappeler que, pour chaque entreprise qui enregistre un recul de 15%, une autre connaît une croissance de 7%. Les modes de consommation évoluent et l’offre doit s’adapter. Si les clients ne viennent plus à vous, il faut trouver le moyen d’aller à eux.»

8. RÉFLÉCHIR À SON ORGANISATION

Une organisation mal pensée peut entraîner des pertes de temps, et donc des coûts cachés. «Nous avons conseillé une entreprise dont les travailleurs, dans l’atelier, devaient se laver les mains toutes les demi-heures», raconte Jérôme Favoulet. «Nous leur avons fait gagner trente-huit minutes par jour et par personne en rapprochant le lavabo. Les employés d’une autre entreprise envoyaient beaucoup d’e-mails; nous leur avons fait gagner une demi-heure par personne et par jour en leur faisant utiliser des modèles. Une fiduciaire stockait ses archives dans une pièce: en les digitalisant, elle a pu augmenter sa productivité et sous-louer l’espace pour mille deux cent francs par mois.»

Les interlocuteurs de ce dossier
(Par ordre d’apparition, dès la page 6, de haut en bas)

  • Jérôme Favoulet, fondateur de l’entreprise de conseils Jetco.
  • Patrick Schefer, directeur de la Fondation d’aide aux entreprises du canton de Genève.
  • Michael Salama, fondateur de l’entreprise de conseils Costbrokers.
  • Farid Assaf, fondateur de l’entreprise de conseils en achats Melioris.
  • Carole Rosen, responsable des coûts achats chez Melioris.
  • Maxime Crépin, directeur et associé de l’entreprise Swissohm.